dimanche 11 février 2024

correspondance

 

Correspondance  89

 

21/12/89

 

Marine

 

Si vous êtes si vulnérable, si réceptive, parfois si désespérée, tellement blessable et blessée au coin des souvenirs, si tragiquement affective, du moins votre poésie, et pour cela, en est-elle plus communicatrice et intense.

N’ai-je donc pas raison lorsque j’affirme que l’on crée faute de mieux ?

Travailler pour une œuvre, cependant, devenue seule-Essentielle, c’est aller très au fond de soi, et paradoxalement s’oublier : c’est plus ou moins consciemment devenir plus fort. C’est s’exorciser, se purifier de ce qui nous hante, nous blesse et nous détruit.

Créer c’est donc rendre positif tout ce qui lentement, banalement nous use.

Vous avez du génie, Marine. Rien, absolument rien d’autre, n’a d’importance. La désaffection, les souvenirs tragiques, ni même la mort physique.

Le flot des souffrances, passées, présentes, doit devenir la Vraie Douleur, pure, claire, positive, unique, qui fait que l’on n’écrit plus faute de mieux, mais que l’on s’exprime superbement et faute de pire.

Vous pensez que je fais de la littérature, que je parle de tout cela bien à mon aise, qu’après tout je ne vous connais pas, j’ignore votre parcours, vous qui ne me connaissez pas davantage et qui ignorerez toujours mon propre chemin. Moi je vous dis qu’il n’existe jamais, si violentes soient-elles, que des peines toujours ordinaires.

Il faut apprendre à se résolument construire, sans chimères, sans nulle illusion, sans vaines souffrances, s’abandonner, se déposséder de soi, s’oublier absolument dans une création, la faire sa seule raison de vivre, une projection totale de soi-même, et par elle s’épuiser de tout.

C’est bien plus qu’une pauvre thérapie de psy. C’est là un dépouillement positif, une mise à nu, une mise à mort, une sorte d’abandon profane.

Comprendre que son être n’est rien ; que son œuvre devient son essence, sa naissance, est un pas vers l’Initiation qui signifie Commencement.

Renverser les douleurs négatives en ardeur positive, c’est aussi et encore la symbolique du Miroir, l’image de toute Renaissance.

Il faut apprendre à rompre avec tout ce qui nous blesse, nous a blessé, avec toutes nos peurs et même le désir maladif d’être simplement aimé. Car rien de tout cela jamais ne nous rassure . Il faut être autre chose que ce que les autres et les circonstances, quels qu’ils furent, ont pu nous faire. Et je vous jure que cela s’apprend. Et puis se vit. Ce ne sont pas là que des mots vulgaires. Tant pis si je vous semble parler par énigmes…pour le moment.

Ecrivez, vous êtes splendide !

 

Lettre authentique anonyme.

 

alain

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